Consommation d’alcool et morale : l’histoire se répète

(Version remaniée d’un texte d’opinion publié dans Le Devoir, 25 janvier 2023, p. A6.)

Au Canada, les premières sociétés de tempérance sont apparues chez les protestants à la fin des années 1820.

Ses partisans prêchaient une consommation modérée d’alcool, idéalement l’abstinence, pour lutter contre l’appauvrissement des ménages, la déchéance morale et la violence conjugale.

À compter de 1840, l’Église catholique a connu une renaissance au Canada français avec l’ultramontanisme, qui prônait la préséance de la religion sur la société civile. Une Église de plus en plus tatillonne, jusque dans la vie privée des fidèles. Au confessionnal, cet outil de contrôle social, les paroissiens devaient dévoiler leurs péchés et se morfondre dans la culpabilité : « Hier, j’ai pris un coup… J’aurais pas dû… »

Sous la pression des sociétés de tempérance, les gouvernements provinciaux et le fédéral ont d’abord hésité à interdire le commerce de l’alcool, par peur de perdre des recettes fiscales. Pour ménager la chèvre et le chou, le fédéral a adopté en 1878 une loi qui accorde aux provinces (et par extension aux municipalités) le droit d’organiser des référendums sur l’interdiction de l’alcool. Le mouvement de tempérance a profité de cette loi pour faire des gains. En 1915-1916, toutes les provinces sauf le Québec interdisaient la vente d’alcool.

Aux États-Unis, un amendement constitutionnel a imposé la prohibition de 1920 à 1933. Dans ce pays comme de l’autre côté de la frontière avec le Canada, le crime organisé roulait sur l’or grâce à la contrebande d’alcool. Il a fallu se rendre à l’évidence : interdire est contre-productif.

Après avoir imposé une brève prohibition en 1919-1921, le gouvernement du Québec a changé son fusil d’épaule en créant la Commission des liqueurs. Cette société d’État, monopole de l’importation, du transport et de la vente d’alcool, encadrait aussi les permis d’alcool pour les restaurants, bars, cabarets, hôtels, tavernes, etc., et versait une partie de ses revenus à son unique actionnaire, l’État. Ce fut la première initiative de contrôle gouvernemental du commerce de l’alcool en Amérique du Nord, aujourd’hui la Société des alcools du Québec (SAQ). Les autres provinces canadiennes ont aussi créé leurs sociétés publiques chargées du commerce des boissons alcoolisées.

C’est ainsi qu’une croisade morale et l’échec de la prohibition ont poussé l’État à réglementer la vente d’alcool.

Nous sommes en 2023. Les gouvernements provinciaux dépendent trop des redevances des liquor stores et de la SAQ pour oser restreindre, même un tantinet, le commerce de l’alcool. Dépanneurs et restaurants ont besoin de vendre des boissons alcoolisées pour se maintenir à flot. Sur le plan commercial, l’alcool est intouchable. Le débat sur ce produit de consommation reste limité à la santé publique, avec beaucoup d’hypocrisie : la modération a bien meilleur goût, attention à votre santé, il ne faut pas conduire un véhicule en état d’ébriété, etc., mais pas touche à la marge de profit.

Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) a récemment fait les manchettes avec son rapport Repères canadiens sur l’alcool et la santé, qui présente des directives plus sévères que celles de 2011. Ce rapport prône une modération accrue, idéalement l’abstinence : « il n’y a pas de quantités ni de sortes d’alcool bonnes pour la santé ».

L’histoire, c’est bien connu, a une fâcheuse tendance à se répéter. Sous un vernis scientifique, le CCDUS est la réincarnation des sociétés de tempérance du XIXe siècle. Et il est écrit dans le ciel que des puritains en mal de rédemption, qui occupent un vide laissé par la débandade d’une Église en crise, vont utiliser le rapport du CCDUS pour culpabiliser les individus et les institutions.

Le 21 janvier, Radio-Canada a publié sur son site web un article intitulé « L’alcool pourrait-il devenir persona non grata sur les plateaux de télé ? » Quelles seront les prochaines cibles ? Les scènes alcoolisées au théâtre et au cinéma ? Les personnalités publiques qui osent se détendre un verre à la main ? Les 5 à 7 et partys de bureau ? Les adultes qui consomment à domicile devant leurs enfants ?

Le débat devrait plutôt porter sur les stratégies de marketing de la SAQ et des liquor stores, éthiquement très contestables. L’éthique, à ne pas confondre avec la morale.

P.S. Dans le quotidien The Globe and Mail, un expert de la réglementation-prohibition des drogues et de l’alcool, historien de la médecine, critique les prétentions scientifiques du CCDUS.

P.P.S. Le Devoir du 26 juillet 2023 révèle que des auteurs du rapport du CCDUS « ont des liens avec un groupe proabstinence ». Dans l’édition du 27 juillet, des chercheurs étrangers qualifient de « pseudoscientifique » la méthodologie du CCDUS.

Le chaste enlèvement

(Ce texte, initialement rédigé pour le tome III de l’Histoire populaire de l’amour au Québec, n’a pas été inséré dans l’ouvrage.)

La littérature québécoise « en fascicules », romans d’amour, d’espionnage, policiers, de science-fiction et autres genres, a connu une forte popularité dans les années 1940.

Ce phénomène culturel très démocratique — les titres étaient vendus 0,10 $ et les tirages atteignaient des milliers d’exemplaires chaque semaine — a culminé au début des années 1950. L’avènement de la télévision (1952), puis du livre de poche édité en France et massivement exporté (1953) ont signé l’arrêt de mort des fascicules québécois. L’éditeur Harlequin, fondé à Winnipeg en 1949 (aujourd’hui basé à Toronto), a ensuite dominé le marché du roman sentimental à bas prix.

Comme tout produit manufacturé en série, rien ne ressemblait davantage à un roman d’amour à dix sous qu’un autre roman d’amour à dix sous. Une étude universitaire* portant sur 104 romans sentimentaux publiés dans les années 1940 et 1950 a révélé plusieurs constantes : les personnages féminins ne vivent que pour l’amour et l’homme de leurs rêves ; ce mâle alpha initie la femme à l’amour, vole à son secours, devient son protecteur et son pourvoyeur ; pour corser l’intrigue, on y injecte des crises de jalousie et des rivalités, des malentendus inextricables, des coups de théâtre telle la réapparition inespérée d’un enfant abandonné, etc., et surtout les sacrifices et les souffrances exigés par l’amour, qui se développe dans la douleur, mais toujours avec une promesse de bonheur ; les héroïnes jouissent généralement d’une beauté physique enviable, et celles qui n’ont pas la chance d’arborer un corps de rêve auront quand même l’occasion de s’épanouir grâce à la magie de l’amour ; le mariage est l’aboutissement de toute relation amoureuse (les déclarations d’amour sous-tendent toujours une volonté de se marier), union dans laquelle la femme trouvera des conditions idéales d’existence et de sécurité ; puis elle s’investira dans le mariage jusqu’à la fusion avec le mari, comme si elle perdait son identité. En bref, tout ce qu’il faut pour que les lectrices — ces romans s’adressaient à un public féminin — puissent vivre l’amour par procuration.

Les Éditions Police Journal, le plus important éditeur de fascicules littéraires du Québec d’après-guerre, ont notamment publié les populaires séries policières Les aventures étranges de l’agent IXE-13, l’as des espions canadiens ainsi que quantité de romans fleur bleue : Gilberte la déshonorée, La fille perdue, Mes deux blondes, La sacrifiée, Les trois amours de Gisèle, À toi mon coeur, L’amour triomphe et tant d’autres.

Explorons l’un de ces romans des Éditions Police Journal, choisi au hasard, Le chaste enlèvement (par Firmin Bibeau, 1944), présenté sur la couverture comme un « Grand roman d’amour » et vendu 10 cents pour 30 pages de texte.

En vacances dans les Laurentides, Ulric Bertrand, 25 ans, comptable dans une compagnie d’assurance, s’offre une promenade en canot sur le Lac Aux Quenouilles. Soudain, il entend le cri de détresse d’une jeune femme qui vient de chavirer et qui s’accroche désespérément à son canot renversé. Ulric Bertrand plonge et vole au secours de la naufragée. « Avec sa robe collée au corps et qui moulait ses formes harmonieuses et souples, la jeune fille était réellement très belle. » L’intrépide secouriste est immédiatement sous le charme. Sur la berge, il allume un feu de branches pour que la rescapée puisse se sécher.

La jeune femme, qui dit ne pas savoir nager, remercie son sauveur. Elle dévoile son identité — Jeanne Pierlot — , explique qu’elle séjourne près du lac dans une villa qui appartient à son père, vacances qui l’ennuient. Ulric Bertrand connaît de réputation la famille Pierlot, dont le patriarche est l’un des hommes les plus riches de Montréal et son épouse une personnalité que l’on dit remarquablement snob. Comment un simple comptable dans une compagnie d’assurance pourrait-il se faire inviter chez les Pierlot ? Car le jeune homme, ensorcelé par un coup de foudre, n’a désormais qu’un projet en tête : conquérir la belle Jeanne.

Celle-ci, reconnaissante, invite tout de go Ulric Bertrand à luncher dans la villa familiale. Le soupirant n’en revient pas d’avoir autant de chance, mais il craint l’accueil que lui fera cette famille richissime. La mère Pierlot, de fait, le reçoit froidement.

« Il y a des gens roués qui se disent que le meilleur moyen de conquérir une jeune fille est d’abord de faire le siège de la mère. » Ulric Bertrand essaie d’amadouer la mère Pierlot, sans succès.

Jeanne manifeste l’envie de revoir Ulric Bertrand. Rendez-vous pris pour le lendemain.

Lorsqu’Ulric Bertrand retrouve Jeanne Pierlot, son cœur bat à tout rompre, mais un souci le tracasse. « Allait-il passer pour quelqu’un qui recherche une jeune fille à cause de la fortune paternelle ? » Le jeune se convainc que l’argent ne sera pas un obstacle à l’amour qu’il éprouve pour la jeune femme, « l’idéal de la beauté et de la grâce. »

Les deux jeunes ont une conversation tout de badinage amoureux. Puis ils vont se baigner. Ulric Bertrand constate avec stupéfaction que Jeanne Pierlot nage comme une sirène. Celle-ci lui avoue qu’elle a fait exprès de chavirer en canot la veille pour attirer son attention. Pourquoi ? « Parce que je m’ennuyais… et je voulais quelqu’un pour partager mon ennui », avoue-t-elle.

Ulric est convaincu d’avoir rencontré la femme de sa vie. « S’il est vrai que l’amour est contagieux et qu’il y a une prédestination qui fait que deux êtres sont destinés l’un à l’autre, il ne pouvait s’empêcher de bénir le bienheureux hasard qui lui avait inspiré de venir passer ses vacances au Lac Aux Quenouilles », résume le narrateur du roman.

Ce jour-là, les amoureux s’embrassent passionnément. « Leurs destinés à jamais étaient scellées. […] Une minute avait suffi pour qu’ils soient l’un à l’autre et cela pour toute la vie. »

Pendant les deux semaines qui suivent, ils vivent ensemble « d’un bonheur calme et tranquille dans l’enchantement féérique d’un amour partagé. »

Nous voilà au milieu du récit. Les vacances prennent fin et les amoureux doivent retourner au sein de leurs familles respectives, chacun de leur côté. Dans la douleur de la séparation, ils se jurent un amour éternel.

Les semaines, les mois passent. La mère Pierlot a pour projet de marier sa fille Jeanne avec un fils de bonne famille. La jeune femme résiste, puis finit par céder.

Ulric Bertrand, toujours obnubilé par l’amour pour Jeanne, met en oeuvre un plan rocambolesque : il la kidnappe et s’enferme avec elle pendant une semaine dans un chalet perdu ! Sur le coup, Jeanne n’apprécie pas du tout. Puis les sentiments l’emportent… « Elle était forcée de s’admettre qu’elle l’aimait encore et qu’elle n’avait jamais cessé de l’aimer. » Et elle le prie de l’épouser. Happy end du roman à dix cennes.

*La femme et la société dans la littérature sentimentale populaire québécoise 1940- 1960, mémoire de maîtrise de Caroline Barrett à l’Université Laval en 1979 résumé dans « L’évasion dans la littérature sentimentale populaire », Au nom du père, du fils et de Duplessis, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 1984, p. 137-152.

FAQ : l’épouse idéale en 1875

Extraits de l’ouvrage de Madame G. D’Uzès, Livre des dames. L’art de se faire aimer de son mari. Le guide des ménages, Montréal, éditeur inconnu, 1875, p. 3-16.

Avertissement : le texte ci-dessous est antérieur à l’apparition du mot « féminisme » au Québec. À l’époque, les femmes n’étaient même pas des « personnes » au sens de la loi. Prenez une bonne respiration avant de commencer votre lecture.


D. Que faut-il faire pour avoir un bon mari ?

R. Etudier avec soin le caractère de l’homme qui vous fait la cour pour vous épouser. C’est autant l’affaire des parents que des demoiselles, car l’homme qui cherche à plaire dissimule avec grand soin ses défauts, et ce n’est qu’après l’union consommée qu’il laisse tomber le masque.

D. Le mariage est donc une loterie ?

R. Presque toujours dans l’état actuel de nos mœurs.

D. Quand il vous est échu un bon numéro, c’est-à-dire un bon mari, n’a-t-on plus rien à faire qu’à se laisser aimer ?

R. Il faut savoir conserver ce bien que vous a donné le ciel. Pour cela, le point essentiel est de ne pas laisser s’engendrer dans son ménage la monotonie qui fait naître l’ennui et pousse l’homme à chercher au dehors des distractions.

D. Comment éviter cette monotonie ?

R. Se soustraire aux trop longs et trop fréquents tête-à-tête ; ne pas continuellement accabler son époux de caresses. Pour lui témoigner votre amour, vous avez toute la vie. Soyez ménagères de la tendresse, qui s’épuise comme toute chose ici-bas, et gardez, dans une juste mesure, votre pudeur, votre susceptibilité de jeune fille.

D. Pour prolonger la durée de la lune de miel, que faut-il faire encore ?

R. Ne dévoiler que peu à peu les qualités, les talents que l’on possède et causer ainsi de temps en temps au mari d’agréables surprises ; se mettre avec goût, varier autant que possible sa coiffure, sa toilette. Un grain de coquetterie ne messied pas et flatte toujours un homme. Faire régner sur soi comme dans son ménage la plus exquise propreté. La femme étant la fée du logis, il faut aussi que le mari s’aperçoive le moins possible de ce qui la rattache aux obligations de l’humaine nature.

D. Une femme doit-elle empêcher son mari de recevoir des amis ?

R. Non, parce qu’il pourrait aller les trouver ailleurs et finir par se déplaire à la maison. La femme doit, au contraire, faire bon accueil aux amis de son mari, afin qu’ils félicitent celui-ci d’avoir fait un bon choix. S’il s’en rencontre dont le langage ne soit pas convenable, elle se renfermera dans sa dignité, mais sans montrer d’humeur. Quand ils seront partis, elle avertira son mari en lui représentant avec douceur les inconvénients de cette fréquentation.

D. La femme refusera-t-elle de suivre son mari dans les endroits ou dans la société où il voudra la mener ?

R. Jamais. S’il la conduit par exemple à la promenade, et qu’elle n’en ait pas le goût, ce qui est rare, elle feindra d’éprouver un grand plaisir. Elle agira de même pour un bal, car si son époux s’apercevait qu’elle s’y ennuie, il pourrait y aller sans elle et y faire des connaissances qui peut-être le détourneraient de son ménage. Quant aux réunions, elle aura toujours l’air de s’y plaire. S’il en était qu’il lui parût dangereux de fréquenter, elle l’observerait à son mari de telle manière que l’idée de ne plus y retourner eût l’air de venir de lui.

D. Est-il convenable que dans le ménage ce soit la femme qui commande ?

R. Non. Si bon que soit avec elle son mari, la femme ne doit jamais s’en autoriser pour usurper le commandement, la direction de la communauté. Les ménages où la femme porte, comme on dit, les culottes, sont peu estimés, et l’épouse doit tenir à ce que son mari jouisse d’une considération qui rejaillit sur elle. Le nom de son mari est aussi le sien. Désire-t-elle quelque chose ? Elle l’obtiendra par la puissance de la douceur et de la persuasion, à laquelle la force même obéit.

D. Une femme doit-elle se mêler des affaires de son mari ?

R. Elle doit attendre que son mari les lui confie et alors se montrer un auxiliaire actif, intelligent, dévoué, mettant au service de l’intérêt commun cette finesse de sensation qui la rend plus perspicace que l’homme et lui fait souvent prévoir, par une sorte d’intuition, des événements qui échappent à celui-ci.

D. Quelle conduite doit tenir une femme qui a un mari avare ou qui semble vouloir tomber dans l’avarice ?

R. Elle doit la pousser à son tour si loin, et simuler une telle joie, que ce soit son mari qui insensiblement quitte sa propension à cette avarice et finisse par la contenir dans les limites d’une raisonnable économie.

D. Quelle sera la conduite d’une femme dont le mari s’adonne à la prodigalité ?

R. Il lui faut une grande fermeté pour ne pas se laisser entraîner à ce penchant afin de se livrer au goût de la toilette et des plaisirs naturels au beau sexe. Elle résistera modestement à toutes les séductions, prêchera d’exemple par son économie, s’efforcera de retenir son époux en lui rendant agréable l’intérieur du ménage et en lui procurant des distractions peu coûteuses.

D. Comment doit agir une femme qui reçoit de mauvais traitements de son mari ?

R. Il est bien rare qu’un homme, si violent qu’il soit, se mette en colère sans quelque raison, ou au moins sans quelques prétextes. Sa femme s’étudiera à ne lui en donner aucun. A ses emportements, elle n’opposera que le calme et la résignation, et surtout elle évitera de le contredire. Si par malheur l’épouse était frappée, qu’elle ne se plaigne à personne, qu’elle garde comme un secret son chagrin. En voyant la trace de ses larmes, sa muette douleur, le mari brutal aura honte de lui-même et finira par se corriger.

D. Que doit faire une femme dont le mari est jaloux ?

R. Se bien garder de donner, même par plaisanterie, le moindre aliment à un défaut qui peut devenir une passion terrible ; témoigner à son mari la plus entière confiance et lui rendre compte, sans eu avoir trop l’air, de ses actions les plus indifférentes ; se montrer très-réservée vis-à-vis des amis de son époux et de tous les hommes en général.

D. Comment se conduira une femme qui s’est aperçue de l’infidélité de son mari ?

R. L’épouse trompée a deux moyens de punir le coupable ; s’emporter, l’injurier, l’accabler de vifs et cuisants reproches, ou le plaindre, le chérir et se résigner. Avec le premier on éloigne un mari ; on l’expose à récidiver, à devenir libertin ; on le perd et souvent on se perd soi-même. L’autre moyen peut le ramener, en lui faisant sentir plus profondément sa faute. Le dernier est seul bon, s’il n’est pas infaillible.

D. La femme qui trompe à son tour un mari qui l’a trompée est-elle excusable ?

R. L’idée de punir une infidélité coupable par une infidélité criminelle, de suivre méchamment un mauvais exemple pour ramener son époux, ne peut entrer que dans l’esprit d’une femme peu chrétienne, folle ou dépravée. Quoique en apparence les torts soient les mêmes, il existe entre les uns et les autres une disproportion sans mesure. Les lois qui punissent la femme adultère sont faites par les hommes, il est vrai, mais les hommes n’ont pas pu être injustes depuis vingt siècles. Quelles terribles conséquences produisent les désordres d’une épouse ! la honte, l’avilissement d’un mari ! des enfants étrangers introduits dans sa maison et devant partager un jour, avec des fils légitimes, les biens amassés par ses travaux. Ses sueurs, ses sacrifices, ses privations ! Non, elles ne sont point injustes les lois qui couvrent d’ignominie la femme adultère. Conservatrices des mœurs, ces lois sont également la sauvegarde de la paix, de l’honneur, du bien-être, du repos des familles.

D. Quelles sont en résumé les qualités qui font une bonne femme ?

R. La première de toutes, est la douceur. Quand s’y joignent la sobriété, la propreté, l’esprit d’ordre sans avarice, on est assuré de faire une bonne maison. Mais ce qui couronne tout cela, ce qui est la pierre d’achoppement de cette quiétude conjugale, c’est certes, et avant tout, le stricte accomplissement de ses devoirs religieux, sans lesquels la vie est un abîme d’incertitudes, de regrets, de malaise, que rien ne saurait combler.

D. Quelles sont les choses qu’une femme me doit surtout éviter ?

R. Les mauvaises fréquentations, les mauvais conseils, les caquets, le voisinage. Elle choisira bien ses amis, en aura peu et se gardera de les initier aux secrets de son ménage. Elle évitera de blesser en rien l’amour-propre de son mari. A-t-elle plus d’esprit que lui ? elle aura l’air de l’ignorer. En un mot, une femme doit rendre sa société tellement douce à son mari, qu’il ne puisse pas s’en lasser, et que, même hors de la maison, il ne goûte aucun plaisir s’il ne le partage avec elle. C’est en même temps un doux devoir et de son intérêt d’en agir ainsi.

LES DIX COMMANDEMENTS DE LA FEMME

l. Ton mari seul tu chériras, Ainsi que Dieu parfaitement.

2. A lui seul tu rapporteras, Tes actions, tes sentiments.

3. Dans tous ses maux le soigneras, Dans ses chagrins pareillement.

4. Sur son honneur tu veilleras, Comme sur le tien constamment.

5. Sans lui jamais tu ne feras De voyages trop longuement.

6. Par douceur le ramèneras S’il a quelque mauvais penchant.

7. Pour lui chaque jour tu sauras Bien soigner ton ajustement.

8. Voisin, voisine éviteras, Propos, conseils, langue qui ment.

9. De ton ménage tu feras Un paradis doux et charmant.

10. Et bonne mère tu seras, Si Dieu te donne des enfants.

Les grandes citations

L’histoire de l’intimité au Québec ne manque pas de déclarations solennelles, d’observations piquantes sur les mœurs, de compliments bien tournés ou de calomnies particulièrement vaches, sans oublier de mémorables gaffes. Voici quelques exemples, en ordre chronologique.

Sur le métissage : « Quand cette grande maison sera faite, alors nos garçons se marieront à vos filles et nous ne serons plus qu’un peuple. » (L’explorateur Samuel de Champlain à une assemblée d’Autochtones, 1633.)

Louis Armand de Lom d’Arce, baron de Lahontan

Sur les Filles du roi : « On y envoya de France plusieurs vaisseaux chargés de filles de moyenne vertu, sous la direction de quelques vieilles béguines qui les divisèrent en trois classes. Ces vestales étaient pour ainsi dire entassées les unes sur les autres en trois différentes salles, où les époux choisissaient leurs épouses de la manière que le boucher va choisir les moutons au milieu d’un troupeau. » (Le voyageur français Louis Armand de Lom d’Arce, baron de Lahontan, 1666-1716.)

Sur les fréquentations : « […] ce qui fait qu’on se marie facilement en ce pays-là [la Nouvelle-France], c’est la difficulté de pouvoir converser avec les personnes de l’autre sexe. […] Il faut se déclarer aux pères et mères au bout de quatre visites qu’on fait à leurs filles ; il faut parler de mariage ou cesser tout commerce, sinon la médisance attaque les uns et les autres comme il faut. » (Louis Armand de Lom d’Arce, baron de Lahontan.)

Gilles Hocquart

Sur le caractère des hommes: « Les Canadiens sont naturellement grands, bien faits, d’un tempérament vigoureux », écrit en 1737 Gilles Hoquart, intendant de la Nouvelle-France. Sur les hommes de la campagne, il précise : « Ils aiment les distinctions et les caresses, se piquant de bravoure, sont extrêmement sensibles aux mépris et aux moindres punitions ; ils sont intéressés, vindicatifs, sont sujets à l’ivrognerie, font un grand usage de l’eau-de-vie, passent pour n’être pas véridiques. […] Ceux des villes sont moins vicieux, tous sont attachés à la religion, on voit peu de scélérats, ils sont volages, ont trop bonne opinion d’eux-mêmes […]. »

Sur les femmes de Québec et celles de Montréal, « celles-ci sont généralement plus belles que les premières. Les manières m’ont semblé quelque peu trop libres dans la société de Québec ; j’ai remarqué à Montréal plus de cette modestie qui va si bien au beau sexe. Les dames de Québec, surtout celles qui ne sont pas sous puissance de mari, mènent une vie passablement oisive et frivole. » (Le botaniste et professeur suédois Pehr Kalm, qui a voyagé dans les colonies britanniques d’Amérique et en Nouvelle-France de 1748 à 1751.)

Un compliment à madame : « Si toutes les dames canadiennes vous ressemblent, j’ai vraiment fait une belle conquête. » (Le roi anglais George III à Louise Chaussegros de Léry, épouse de Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry, premier seigneur canadien présenté au monarque, en 1763.)

Alexis de Tocqueville

Sur la sagesse des habitants : « Je demandais un jour à un cultivateur pourquoi les Canadiens se laissaient resserrer dans des champs étroits, tandis qu’ils pouvaient trouver à vingt lieues de chez eux des terres fertiles et incultes. — Pourquoi, me répondit-il, aimez-vous mieux votre femme, quoique celle du voisin ait de plus beaux yeux ? J’ai trouvé qu’il y avait un sentiment réel et profond dans cette réponse. » (Le philosophe et homme politique français Alexis de Tocqueville, qui a voyagé au Bas-Canada en 1831.)

Sur les mariages mixtes : « Il est naturel, il est même à souhaiter que les races française et anglo-saxonne, ayant maintenant une même patrie, vivant sous les mêmes lois, après des haines, après des luttes séculaires, se rapprochent par des alliances intimes. » (Philippe Aubert de Gaspé, Les Anciens Canadiens, 1863.)

Sarah Bernhardt

Sur la gent masculine au Québec : « Vous avez un beau pays, mais c’est tout. Depuis vingt-cinq ans l’agriculture peut-être a prospéré, mais le reste ? Vous n’avez pas de peintres, vous n’avez pas de littérateurs, vous n’avez pas de sculpteurs, vous n’avez pas de poètes. Fréchette peut-être, et un autre jeune. Mais sapristi, vous n’avez pas d’hommes, vous n’avez pas d’hommes ! » (L’actrice française Sarah Bernhardt à Québec le 4 décembre 1905.)

Quand procréer est un acte politique : « C’est la revanche de la race française au Canada, — le “miracle canadien”, la reprise de sa fécondité contre ceux qui lui parlaient de mort et d’ensevelissement ». (Le jésuite Louis Lalande, créateur de l’expression « revanche des berceaux », 1918.)

Sur le père de famille : « […] le chef de la vieille famille canadienne exerce en quelque sorte, à son foyer, un pontificat domestique. » (Lionel Groulx, Notre maître, le passé, 1924.)

Philippe Panneton, dit Ringuet

Sur la nudité : « Les peintres sont des gens extraordinaires. Ils trouvent moyen de placer partout des personnes à poil, ce qui dans la vie courante n’existe à peu près pas ». (Le médecin, diplomate et romancier Philippe Panneton, dit Ringuet, 1926.)

Quand l’Église condamne le « sensualisme » et le « naturalisme » : « Un vent de sensualisme souffle des pays étrangers sur notre chère patrie. […] A tous les degrés de l’échelle sociale le naturalisme s’affirme par une passion de jouissance qui glorifie la chair, malgré les préceptes du christianisme, déificateur de l’esprit. Ces tendances païennes s’affirment particulièrement dans les modes immorales, accueillies avec faveur comme si la modestie n’était qu’un vain mot ; dans les danses inconvenantes ou lascives qui tuent la pureté et sèment le scandale ; dans les spectacles corrupteurs offerts par des théâtres et des cinémas qui ne tendent trop souvent qu’à réveiller les instincts les plus pervers et les plus grossiers de la nature déchue. » (Lettre pastorale, 1927.)

Sur la burka : « Les costumes de bain pour personnes du sexe féminin doivent être suffisamment hauts sur la poitrine et les épaules pour éviter tout semblant de provocation. De même le maillot devrait être recouvert d’une jupe qui aille à peu près jusqu’aux genoux. Il serait même à souhaiter que tel costume vînt à comporter comme autrefois une sorte de large manteau qui voile le relief des formes du corps ; autrement, la suggestion, pour être discrète ou hypocrite, n’en est souvent que plus vive. » (L’abbé Georges Panneton, auteur du livre Les Dangers des vacances : les scandales des plages, les excursions du dimanche, les danses modernes, 1932.)

Sur le « cercle vicieux » canadien : « Jésus est le fils d’une mère céleste restée vierge. Vierge, mariée à un homme (Joseph) qui ne l’a jamais “connue”. Marie résoud vraiment la quadrature du “cercle vicieux” canadien : comment rester vierge tout en devenant mère », écrit Heinz Weinmann dans son essai Du Canada au Québec : généalogie d’une histoire (1987).

Valérie Plante

Un lapsus. La mairesse de Montréal Valérie Plante, le 10 septembre 2021, vantant les mérites de la joueuse de tennis professionnelle Leylah Fernandez : « On voit une jeune fille déterminée, souriante. On la sent passionnée. Et c’est très contagieux. J’ai envie de dire que sa passion pour le pénis… Heu ! Le pénis, s’cusez… » — cliquez ici.

Le temps perdu

Quelques monologues et dialogues tirés du beau film documentaire de Michel Brault Le temps perdu (Office national du film du Canada, 1964) :

— Dans chaque petit garçon, il y a toujours un homme des cavernes qui prend sa chance. Tant pis pour la fille douce.


— Benoît, devine qui est-ce qui passe ? Huit heures et il est encore là.
— Je le sais : André Fortier !
— On ne se trompe pas !
— Pauvre André Fortier, je le plains.
— Pourquoi tu le plains ?
— Avec une fille comme toi…
— Il ne veut pas me laisser tranquille, de huit heures jusqu’à minuit !


— Ah les gars, les gars, les gars, sainte… Trop grands pour jouer aux sauvages, trop jeunes pour être des vrais Dons Juans.


— La fois que les gars sont allés faire leur camping à la con pour deux jours. Les indépendants… Ça, ça nous en faisait de la peine ! Les gars partis, on avait la paix. Le temps de vivre, le temps de se parler. Le temps perdu.


— Vierge martyr, c’est un pléonasme !


— Ma chère Céline, depuis cette soirée chez Rivest, je ne peux oublier la lumière de tes yeux verts, qui m’a fait oublier le charme de Claire, et je ne vois plus que toi. Ta chevelure de miel, ta silhouette féline, ton regard pur m’ont charmé.


— Dans une fille, t’as de la chaleur, de l’affection. T’as tout ce que le gars a pas. […] Si elle m’aime, si je suis capable de la rendre heureuse… C’est peut-être un peu trop loin, ça, mais je ne sais pas, la rendre gaie, quoi, pour qu’elle me rende la pareille.