Funeste Lucien Bouchard
Par Jean-Sébastien Marsan (2 mars 2010)
Depuis deux semaines, il est de retour. Lucien Bouchard, l'ex-imposteur en chef.
Le 16 février, il s'est permis des commentaires désobligeants sur le Parti Québécois et sur la souveraineté. Ce n'était pas la meilleure nouvelle du jour, mais bon, il a droit à ses opinions politiques (et à ses rancunes).
Une semaine plus tard, le 23 février, il est réapparu dans le débat public, cette fois pour prôner un dégel des frais de scolarité à l'université. Il s'est alors montré sous le visage que nous connaissons trop bien. Celui du grand démolisseur du Québec. De l'austérité morbide. De l'avenir bouché.
Des médias commentaient encore hier les propos de Lucien Bouchard sur le financement des universités, comme si c'était une grande révélation. Je n'en peux plus... Ça me rappelle tant de mauvais souvenirs. J'ai l'impression de replonger dans l'atmosphère noire, noire, noire des années qui ont suivi le référendum de 1995.
Lucien Bouchard avait épaté tout le monde pendant la campagne référendaire, il pouvait être fier de sa performance - une quasi-victoire ! Devenu premier ministre en 1996, son vieux fond conservateur a repris le dessus : il s'est acharné (jusqu'à sa démission en 2001) à démolir ce Québec qu'il avait pourtant voulu transformer en pays.
Rappelez-vous les compressions monstres pour parvenir au sacro-saint déficit zéro. L'implosion du système de santé (notamment, lorsque des milliers d'infirmières ont préféré une retraite anticipée au calvaire budgétaire du gouvernement Bouchard). Les fusions municipales forcées. L'hypocrisie écologique (des pollueurs devenaient les "partenaires" du ministère de l'Environnement...). La construction sauvage de la ligne électrique Hertel-des-Cantons. La négligence envers les infrastructures publiques et le patrimoine. Etc., etc., etc.
De toutes les années Bouchard, je me souviens de deux réalisations positives : les garderies à 5 $ et la loi sur l'équité salariale. Tout le reste n'était que régression et fatalisme.
Lucien Bouchard, l'homme d'État, n'a eu de cesse de fragiliser l'État. Il a préféré de brutales restrictions budgétaires à une réforme de la fiscalité (qui est pourtant une méthode éprouvée pour augmenter les revenus d'un gouvernement... à condition de faire fi de l'opinion des financiers et de supprimer les privilèges des privilégiés). Le déficit zéro atteint, le Québec était dans une situation lamentable : le fossé entre les riches et les pauvres avait grossi, des organismes gouvernementaux utiles avaient été sacrifiés, l'Éducation et la Santé n'en finissaient plus de se serrer la ceinture, l'humeur des Québécois était à la déprime. Lucien Bouchard justifiait nombre de ses massacres au nom des "conditions gagnantes" en vue d'un prochain référendum, mais il n'a pas fait la promotion de la souveraineté sur le terrain.
Quelques années après avoir quitté la politique, Monsieur Sinistrose est sorti de l'ombre pour nous faire la morale sur nos heures de travail (il nous a reproché, collectivement, de moins travailler que les Ontariens et les Américains). Et maintenant, il prône le dégel des frais de scolarité... Il prétend avoir à coeur les intérêts du Québec, mais il ne fait que régurgiter le discours des banquiers. Allergique à la solidarité, il prône constamment le chacun pour soi. Incapable de faire la différence entre une dépense et un investissement, il ramène tout au degré zéro de la comptabilité. Chaque fois qu'il nous sermonne, comme un curé frustré de jadis, il donne envie de fuir le Québec (comme plusieurs ont fui l'ambiance étouffante du duplessisme).
Lucien Bouchard avait et il a toujours beaucoup d'influence sur les Québécois. Pendant la première moitié des années 1990, il démontrait beaucoup d'envergure. Un magnétisme. Une aura de séducteur. Aujourd'hui, c'est l'inverse : éteignoir des ambitions, il est tellement désespérant que sa seule présence dans le décor tue l'amour.