La bagnole ou le refus de prendre le temps de vivre

Par Jean-Sébastien Marsan (28 octobre 2009)

Pour compléter mon billet sur la banlieue, je ne peux résister à l'envie de vous confier tout le mal que je pense de la sacro-sainte voiture.

Je déteste les bagnoles. Je déteste les bagnoles. Encore une fois : je déteste les bagnoles ! Et je vais vous dire pourquoi.

La bagnole est la menace industrielle numéro un qui pèse sur l'humanité. Les véhicules qui carburent au pétrole sont responsable d'une bonne partie de la pollution de l'air et du réchauffement climatique, de la plupart des guerres (qui sont souvent liées aux ressources pétrolières ; si vous vous demandez encore le pourquoi de l'occupation de l'Irak et de l'Afghanistan, ne cherchez pas plus loin que la prochaine station d'essence), de l'exploitation du tiers-monde (d'où provient une partie de l'or noir et la plupart des matières premières entrant dans la fabrication des bagnoles) et d'un nombre effarant de tragédies sur les routes (rien qu'au Québec, 557 décès et plus de 43 500 blessés l'an dernier). La voiture est le produit de consommation le moins équitable au monde et une arme de destruction massive particulièrement efficace.

Au Québec comme ailleurs dans le monde, de nombreux territoires ont été défigurés pour laisser toute la place à la bagnole. Dans la prétendue Belle Province, nous avons un don pour la construction d'autoroutes beaucoup trop larges, au tracé mal choisi, qui lacèrent le paysage.

Au Québec comme ailleurs dans le monde, la bagnole atomise la société : elle isole les gens dans leur carrosserie. Sur les autoroutes, dans les stationnements, etc., l'automobiliste est toujours seul. Lorsqu'il sort de chez lui pour s'engouffrer dans sa bagnole et qu'il ne ressort de sa bagnole que pour rentrer chez lui, systématiquement, je crois qu'on peut parler d'un refus évident de se mêler à l'humanité.

La voiture est avant tout un symbole de réussite sociale. Elle sert aussi à nous transporter, mais cette fonction est très secondaire. Parfois, elle n'est qu'un prétexte. Autrement dit, les gens s'achètent une voiture pour montrer à la face du monde qu'ils possèdent une... voiture. Et l'affirmation de l'individu passe par sa bagnole. À preuve, jetez un coup d'oeil aux routes à l'heure de pointe : la majorité des automobilistes sont seuls dans leur carcasse roulante. (Et après, ils iront se plaindre du temps perdu dans les embouteillages.)

Le piéton doit toujours subir le bruit, la pollution, l'agressivité des bagnoles, alors qu'il ne demande qu'une chose, pouvoir se déplacer à sa guise, et qu'il ne gêne personne. Même un piéton qui respecte la signalisation aux intersections est en danger : à Montréal, j'ai été maintes fois confronté à des automobilistes qui croient que l'arrêt au feu rouge est facultatif. Le quartier montréalais le plus dangereux pour les bipèdes : le surestimé Plâââteau Mont-Royal, où les wannabe se croient investis du droit divin de se faire remarquer à tout prix avec leur bagnole.

Le plus pathétique : la drague du samedi soir dans une bagnole. Dans une voiture sport qui se déplace à basse vitesse sur des artères achalandées, une bande de jeunes hommes klaxonne les créatures du sexe opposé sur le trottoir. "Eille bébé, t'es pas mal cute", vroum vroum pouet pouet... Cette technique de drague n'est pas efficace (les femmes n'ont aucune envie de s'approcher d'une voiture bourrée de morons du samedi soir) et elle tombe royalement sur les nerfs de l'ensemble des piétons.

Attention, je ne ne veux pas laisser entendre que la voiture n'est pas, dans certaines occasions, un moyen pratique de se transporter d'un point A au point B. Certains déplacements ne peuvent s'effectuer qu'en voiture. Se déplacer en voiture peut permettre de gagner du temps, mais il y a un hic : ce gain sera rapidement annulé par le temps et les frais hallucinants requis pour l'entretien, les accrochages et les accidents, les contraventions et remorquages, l'immatriculation et les assurances, sans oublier le carburant (et dans un contexte de pénurie annoncée de pétrole à bon marché, les prix de l'essence vont bientôt s'envoler).

Se déplacer à pied, en vélo ou en transports en commun, c'est prendre le temps de vivre sans hypothéquer l'avenir de l'humanité. C'est aussi la liberté d'aller exactement où l'on a envie. (En voiture, la liberté n'est qu'un slogan publicitaire : il faut se déplacer à la queue leu leu sur des routes, et rien que des routes, entouré d'autres automobilistes stressés et stressants, en respectant un code de la route très contraignant. Essayez donc de couper à travers champ avec une auto...)

Se déplacer à pied, en vélo ou en transports en commun, c'est la liberté de se déplacer comme on en a envie, à la vitesse qui correspond le mieux à notre rythme (essayez donc, avec une bagnole, de rouler nettement sous la limite légale de vitesse...). C'est le plaisir d'observer les passants, les passagers des trains, des autobus, etc., de sourire à quelqu'un, d'amorcer une conversation...

Laisser la bagnole dans le garage, c'est le début de la séduction.


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