Vingt ans de capitalisme sauvage
Par Jean-Sébastien Marsan (22 octobre 2009)
Il y a 20 ans, le mur de Berlin vacillait (la date officielle de sa déconfiture est le 9 novembre 1989). Permettez-moi une petite réflexion personnelle sur ce chapitre de l'Histoire.
J'ai découvert hier, dans le site web du journal allemand Der Spiegel, plusieurs photos qui racontent très bien (mieux qu'avec des mots) la construction et la chute du mur de Berlin. Si ça vous intéresse, voyez ces formidables témoignages visuels sur la vie quotidienne en République démocratique allemande (ici et là), sur la construction du mur qui sépara Berlin pendant 28 ans, sur la première brèche dans le Rideau de fer (ce n'est pas à Berlin, mais à la frontière de la Hongrie et de l'Autriche, en août 1989, que l'Histoire a commencé à basculer) et sur les soulèvements populaires qui ont précipité la chute du Mur. Vingt ans plus tard, plusieurs n'ont pas encore digéré la disparition du communisme : d'après un sondage mené en Allemagne, plus de la moitié des anciens citoyens de l'Est sont nostalgiques de leur existence derrière le Rideau de fer...
Ces photos m'ont replongé dans mes souvenirs. Lors de la chute du mur de Berlin, je débutais mes études au cégep. Je voyais mes profs soixante-huitards, qui avaient jadis été membres du Mouvement pour un Québec socialiste ou de groupuscules trotskystes, complètement stupéfaits par les événements qui se déroulaient en Europe centrale. Ils n'en revenaient pas.
À l'automne 1989, il y avait quelque chose de spécial dans l'air. L'Histoire connaissait l'une de ces grandes ruptures qui surgissent une ou deux fois par siècle. Avec l'écroulement de toutes ces dictatures en Europe, il y avait la promesse d'un avenir meilleur. Je me disais que les années 1990 seraient exaltantes.
Je me trompais royalement.
Après l'effondrement généralisé du communisme en Europe, en 1990-1991, la dictature du prolétariat a fait place à la dictature du capital, presque partout dans le monde. Il fallait désormais se soumettre, pieds et poings liés, au Dieu Marché. Au trop-plein idéologique de la guerre froide a succédé le vide idéologique, jusqu'à l'insignifiance, du capitalisme triomphant. L'utopie n'était plus permise, ni même le rêve ("There is no alternative", disait déjà dans les années 1980 la première ministre britannique Margaret Thatcher pour souligner son refus obstiné de croire à autre chose qu'au capitalisme sans entraves).
Les années 1990 ont accentué un phénomène qui avait marqué les années 1980 : le repli je-me-moi, le chacun pour soi. Époque stérile et figée, où l'individualisme devenait une fin en soi. (On encourageait d'ailleurs n'importe qui à devenir travailleur autonome - j'ai écrit un livre à ce sujet). Dans les années 1990, nous avons subi une grave pénurie d'entraide et de solidarité. On en était presque venu à considérer tous les gens qui nous entourent comme des concurrents !
De cette décennie, il n'y a pas grand-chose à retenir de positif. À mon avis, il n'y a eu qu'une seule innovation majeure dans les années 1990 : Internet. La démocratisation de ce réseau d'ordinateurs interconnectés a ouvert un nouvel espace de communication, de création, de liberté (et ce progrès se poursuit de nos jours).
Le niaisage idéologique amorcé avec la chute du mur de Berlin a brusquement pris fin le 11 septembre 2001 avec les attentats terroristes contre un puissant symbole du capitalisme-roi, les tours jumelles du World Trade Center à New York. Depuis le 11 septembre, l'Occident s'est remis à réfléchir sur lui-même, à se remettre en question.
Bon. Je suppose que si vous avez eu la patience de me lire jusqu'ici, vous vous dites sûrement : "Non mais, quel lien avec la séduction et la drague ? Je n'ai pas envie de suivre un cours de science po, je veux qu'on me parle des relations hommes-femmes !"
J'y arrive, j'y arrive...
Le néolibéralisme, c'est une manière très utilitariste de concevoir la vie en société : tout n'est que compétitivité, rationalité, efficacité, technique, performance, profit, etc. Tout ce qui n'est pas rentable n'a pas d'intérêt. Cette vision du monde a des impacts sur la séduction, la drague, la rencontre amoureuse, le couple et d'autres dimensions de la vie privée. Voici ce que je peux observer au jour le jour.
- Les Québécois semblent avoir renoncé aux comportements de séduction spontanés, gratuits, qui n'engagent à rien : un sourire, un compliment, etc.
- Les Québécois sont mal à l'aise dans les situations où il faut sortir son portefeuille pour inviter l'autre, sans calcul ni contrepartie. Par exemple, ils ne sont pas portés à offrir des fleurs et ils ont la manie de séparer en deux les factures de bar ou de restaurant.
- La drague se déroule fréquemment dans des environnements commerciaux : bars, cafés et autres établissemnents, sites web et agences de rencontre, speed dating, etc., comme s'il fallait obligatoirement qu'un intermédiaire nous déleste de quelques dollars à chaque fois qu'on a envie de rencontrer quelqu'un. Nous draguons très peu dans les endroits publics.
- On "magasine" un(e) partenaire, dit-on, comme si l'amour était un centre commercial.
- La relation amoureuse est synonyme de performance, de retour sur investissement : il faut rencontrer rapidement quelqu'un qui correspond exactement à nos attentes et qui nous donnera immédiatement satisfaction.
- Le corps est devenu un objet que l'on optimise en investissant des centaines, voire des milliers de dollars dans les gymnases, les régimes, la chirurgie plastique, etc.
- Le désir sexuel est un concept publicitaire...
- ... et l'acte sexuel est un produit de consommation : la pornographie.